Combinant les codes du road movie et du western, « Thelma et Louise » a tout pour être un film boosté à la testostérone. Et pourtant. Désarmant un à un les mécanismes de domination masculine, tant dans le fond que dans la forme, ce film est un manifeste féministe qui détonne pour son époque. Avec un sens de la mise en scène réfléchi et une note d’humour teinté de sarcasme, il montre que le patriarcat tue. Thelma et Louise nous embarque à l’arrière de leur décapotable pour un week-end entre filles, destiné à oublier leur quotidien. Une sortie de route va leur être fatale et la cavale commence. Elles croisent peu de personnes, principalement des hommes qui ne voient en elles que des objets. Mais pour une fois, elles ont décidé d’être sujet de leur propre destinée. Ce sont elles en fuite alors même que ce sont elles qui doivent se protéger d’une société donnant le pouvoir aux hommes, qui ont la main mise sur tout, y compris sur les femmes. Alors que l’on voit les routes désertiques défiler à perte de vue, on le sait, le duo se trouve dans une impasse. On ne brise pas les règles du patriarcat sans conséquences. Malgré tout, ce film est beau, par son esthétisme mais aussi par le récit d’une amitié pure, sincère qui ne se dit pas mais se ressent, se voit dans les actions, dans les regards entre deux femmes prêtes à s’aimer jusqu’à la mort. Jusqu’au bout, Thelma et Louise n’ont qu’une seule destination, la liberté.
Qu’il est dangereux ce bruit qui court dans les couloirs de l’école… D’autant plus lorsqu’il vise un professeur accusé de faire des avances à une élève. Qui croire ? Dans le cas du film Pas de vagues, la question ne se pose pas. La défense va à l’accusé, Julien, interprété par François Civil, un professeur de français comme l’était le réalisateur qui met en scène sa propre histoire. Un parti-pris affirmé qui dès le début, biaise notre perception des personnages et nous remplit d’empathie pour un professeur que l’on nous présente comme victime. Une innocence présumée appuyée par son homosexualité qui lui est conseillé de brandir comme collier d’immunité. Par ailleurs, cette relation, si elle n’est pas le cœur de l’histoire, a le mérite de n’être ni fantasmée, ni surjouée, ni exagérée. Ce film n’est pas à prendre comme une tentative de discréditer la parole des victimes mais plutôt comme une démonstration de la gravité des conséquences de fausses allégations. Et ce, au-delà d’accusations d’un(e) élève envers son professeur. Car, les rumeurs sont des jeux dangereux auxquels les jeunes s’adonnent encore trop souvent dans les établissements scolaires, quitte à nuire à la vie de leurs camarades. Le long-métrage est ainsi une invitation à suivre la descente aux enfers de ce professeur accusé à tort, parfaitement mise en scène par des plans poignants et révélateurs. Jusqu’à la scène finale, véritable point de bascule dans la folie dévastatrice.
Un titre qui en dit long (très long) sur ce film. Par ce titre, le personnage principal, Jeanne Dielman, se présente à nous. Et comment pourrait-elle se présenter autrement que par l’adresse de son foyer où se déroule sa vie entière ? Son quotidien est régi par ces tâches domestiques ; préparer le petit-déjeuner pour son fils, le réveiller, faire les courses, accueillir un homme pour gagner de l’argent. Elle dans tout ça ? On ne sait pas trop, aucune parole, aucune émotion ne la trahit. Même lorsqu’elle s’adresse à son fils, elle semble hors d’elle-même, sa voix est blanche. Durant trois jours, ces mêmes tâches se reproduisent (in)lassablement. Rien ne dépasse, l’emploi du temps est réglé au millimètre près, comme le cadrage fixe de chaque plan. Une répétition qui montre à quel point le quotidien des femmes au foyer est mécanisé, comme à l’usine. A la différence près, qu’elle ne gagne pas d’argent pour toutes ces tâches effectuées. Son seul gagne-pain, ce sont ces hommes qu’elle reçoit chez elle chaque jour pour subvenir à ses besoins – triste réalité d’une femme devant vivre sans mari. Mais soudain son organisation bien rôdée se dérègle. Une lumière reste allumée, un café a mauvais goût… Les incongruités et les dysfonctionnements s’enchaînent jusqu’à la chute.
Chantal Akerman nous permet d’expérimenter la vie de cette femme au sens propre. La réalisatrice ne cherche pas à esthétiser un quotidien banal, elle l’expose de la manière la plus factuelle qui soit, sans coupure ou presque, en s’inspirant de ses souvenirs d’enfance. Lorsque Jeanne Dielman se lave, nous sommes à ses côtés, lorsqu’elle prépare à manger, nous pouvons suivre chaque étape de la recette. Non, ce film ne s’apprécie pas pour son divertissement. C’est long, on voit le temps passer comme le voulait tant la réalisatrice, c’en est presque dérangeant, malaisant. Mais n’est-ce pas ce que nous devrions ressentir face à une vie aussi platonique que celle imposée aux ménagères de l’époque ? La réalité du film est telle que l’on pourrait se demander si la frontière du documentaire n’est pas plus proche qu’on ne le pense.
« Il y a plusieurs façons de vivre dans la tragédie » réplique Ingrid, interprétée par Julianne Moore, au cours du film. Pedro Almodóvar a choisi une façon belle, douce, toute en pudeur et presque optimiste de la vivre. Dans ce film, la mort est un rendez-vous attendu et elle est même un choix. Elle se devine dans la mise en scène qui prend son temps où les mouvements sont lents, limités, contrôlés. Et même si elle plane tout au long du film, elle n’alourdit pas l’atmosphère. Au contraire, le réalisateur choisit de l’esthétiser. Elle s’organise – dans une villa ultra-moderne – et se prépare comme une cérémonie – avec un jeu de portes et une reconstitution d’un tableau de maître. Tout comme Martha s’apprête le jour-J et revête un tailleur d’un jaune étincelant ponctué par un rouge à lèvres vibrant. Comme si la mort pouvait aussi se recevoir comme une invitée. Mais la véritable invitée de Martha, c’est Ingrid, son amie qui a choisi de l’accompagner jusqu’au bout du chemin et manifeste la plus belle preuve d’amour. Si nous sommes libres de vivre notre vie alors nous devrions aussi être libre de choisir notre mort. C’est ce que revendique « La chambre d’à côté » avec justesse, allant au-delà des perspectives fatalistes avec lesquelles le sujet est généralement appréhendé.
Le choix, c’est l’histoire d’un homme qui prend la fuite en voiture et que l’on suit pendant 1h15. Nous le voyons lui, nous voyons la route et rien d’autre. Il s’apprête à faire un choix qui va bouleverser sa vie. Il sait que personne ne le comprendra, qu’il va tout perdre et pourtant chaque kilomètre qui le rapproche de l’hôpital l’éloigne un peu plus de sa vie dont les fondations s’écroulent une à une. En réalité, son choix est fait dès les premières secondes du film lorsqu’il décide de quitter son chantier. La suite, ce n’est qu’un enchaînement d’appels et un déferlement de conséquences qui plongent le personnage dans un tourbillon infernal. Mais c’est bien là l’un des problèmes de ce film. Il est difficile de ressentir de la peine pour lui car l’ensemble de ces conséquences ne résultent que de ses actions. Et même si l’on parvient à comprendre ses motivations, c’est lui et sa conscience contre le reste du monde, son monde.
Second problème, le film termine de manière bien trop abrupte. Il ne fait que parler du lendemain mais qu’adviendra-t-il vraiment ? Il nous manque des réponses. D’une certaine façon, le réalisateur semble vouloir porter notre attention sur le choix en lui-même – d’où le titre. Comme si rien n’avait plus de sens que cet instant durant lequel il va pouvoir se prouver à lui-même ce que d’autres n’ont pas réussi à faire. Mais cela donne un film un peu trop auto-centré tant dans la forme – qui n’est pas dérangeante en soit – que dans le fond – qui là, l’est un peu plus. Jusqu’à quel point peut-on agir pour soi tout en négligeant ceux qui nous entourent ? Comme une sensation d’inachevé, d’un film qui s’est arrêté en pleine course sans jamais redémarrer.
Alors que le film nous donne à (entre)voir une menace politique qui sévit dans l’espace public, le danger plane aussi dans la sphère privée, au sein du foyer des deux sœurs, Rezvan et Sana. Et si c’était lui le plus dangereux ? Car c’est dans la cellule familiale – et patriarcale – derrière les rideaux fermés, que s’instaurent les rapports de domination et fermentent les discours radicaux. Dehors, la répression condamne. A l’intérieur, la censure commande. Où se trouve l’avenir des deux jeunes femmes qui rêvent d’un vent de liberté qui lèverait le voile sur leurs visages comme sur leurs droits jusque-là bafoués ?
L’intégration d’extraits vidéo amateurs nous obligent à voir la réalité en face – littéralement – ce n’est pas une fiction. Quelque part de notre côté de l’écran, des femmes, des résistantes, se battent pour leur vie qui n’a de valeur que si elle prend le chemin de la liberté. On tente à peine de se mettre à leur place tant cette place est inimaginable, inenvisageable. Mais une chose est sûre : on prend la mesure du courage qui les habitent, de l’esprit de révolution qui gronde en elles jusqu’à nous heurter nous, complétement bouleversés. A voir, impérativement.
Dans ce film social, Ladj Ly nous immisce doucement mais sûrement dans la violence des quartiers populaires opposant les habitants – notamment les jeunes – aux policiers. Le réalisateur ne prend parti ni pour l’un, ni pour l’autre et préfère nous donner à voir une réalité à double visage où la frontière entre le camp du bien et le camp du mal est poreuse. Le film débute pourtant sur une incroyable (mais illusoire ?) scène de cohésion nationale avec la coupe du monde de football 2018 qui voit le pays s’embraser de joie. Alors qu’à la fin du film, c’est la colère et l’esprit de vengeance qui fait s’embraser l’immeuble de la rue Picasso de Montfermeil. La scène finale, ultime affront entre les deux parties, est laissée en suspens et Ladj Ly nous force à sortir de cette construction où l’un aurait plus raison que l’autre. On ne peut blâmer celui qui aurait asséné le dernier coup comme on ne peut défendre celui qui l’aurait reçu. Ladj Ly nous empêche de terminer le film en catégorisant les personnages et en les condamnant à la fatalité. Laissant entrevoir, peut-être, une possible réparation dont le gouvernement politique doit maintenant s’assurer.
Le film met en cause la responsabilité de la société dans le destin des individus. Chaque coup – au sens propre comme figuré – encaissé par Arthur Fleck, est un pas de plus vers la descente aux enfers… Et sa métamorphose en Joker. Il lutte pour tenter de s’intégrer au sein du système malgré ses troubles psychologiques et ses antécédents familiaux – les deux étant liés, on l’aura compris. En voulant faire le bien, il n’est qu’une ombre que l’on aperçoit à peine. C’est seulement lorsqu’il agit de manière immorale qu’il attire la lumière. Dans une perspective (un peu trop ?) fataliste, son seul choix pour exister auprès des autres est alors le mal. Une manière de justifier, sans pour autant excuser, ses actes cruels qui ne sont pas tant de son fait que celui d’un mépris de classe. Le film montre aussi à quel point, dès lors que notre valeur repose uniquement sur la reconnaissance extérieure, celle que les autres veulent bien nous accorder, les conséquences ne peuvent qu’être terribles.
Dans La Favorite, Yorgos Lanthimos nous plonge dans l’Angleterre du début du XVIIIème siècle où la guerre avec la France fait rage. Mais un autre conflit plus officieux a lieu dans les couloirs et chambres du palais. Trois femmes, la reine Anne, son amie Lady Sarah et la servante Abigail Hill, aussi brillantes que cruelles, sont prises dans un jeu de pouvoir où faux-semblants et coups bas sont de mise. Les jeux de caméra nous donnent l’impression d’être dans la pièce avec les protagonistes et de suivre leurs échanges. Cet aspect voyeur, combiné au grotesque et à l’absurde de certaines scènes installent un malaise auquel la musique sous haute tension ne semble jamais mettre fin. Le film est divisé en plusieurs actes à la manière d’une pièce de théâtre mais pourrait tout aussi bien s’apparenter à une partie d’échecs. Pour une fois, on n’assiste pas à un simple crêpage de chignon entre femmes mais bien à une bataille sans merci pour leurs ambitions. Ce qui rend l’attache compliquée, chacune agit souvent avec sadisme et impudeur mais leurs motivations peuvent (presque) être recevables. Il est dur de prendre parti, et encore moins de choisir une favorite.